2 ans auparavant, Michael

Morgan trouva Ada qui l'attendait dans la rue.

— Il veut vous voir, il veut que je vous y emmène.

Le hangar était vieux et moche. Il sentait la vieille huile et la pisse de souris. Il y faisait chaud. Il était plein d'un capharnaüm indescriptible de vieilles bagnoles en morceaux et de vieux morceaux de bagnoles. Michael avait caché son labo au fond, derrière une barricade de merdier enchevêtré de trois mètres de haut. Pour atteindre la cache, il fallait extirper une vieille échelle branlante afin de monter sur une poutrelle de soutènement du toit, faire de l'équilibre sur la poutrelle en portant l'échelle, et redescendre de l'autre côté de la barricade par la précieuse échelle. De toute évidence, Michael avait monté le labo avant de fabriquer la barricade. La pelle mécanique décrépite qui rouillait dans la cour avait à coup sûr été mise à contribution. La barricade mettait la manip à l'abri d'une intrusion accidentelle et aurait protégé l'environnement si Rita avait sauté. Michael était donc un garçon plein de ressources. Morgan appréciait cela.

Michael retira un plastique qui cachait et protégeait des crottes de pigeon ce qu'il y avait sur la table de jardin en plastique blanc au milieu du labo. Rita apparut, désossée.

— J'ai introduit les nanobots par les ouïes d'aération. Je les ai laissés explorer l'intérieur deux jours et deux nuits pour être certain qu'ils avaient fait un plan sans blancs. Comme ils n'ont rien trouvé sur les vis, j'ai ouvert les panneaux au tournevis. Je vous préviens, il y a une mauvaise surprise.

Il vérifia que Morgan regardait en levant les yeux et il lui décrivit ce qu'elle voyait en désignant chaque partie une à une.

— Ça, c'est le mouchard, fit-il en désignant un module gris sombre. Les nanobots ont révélé que les vis du couvercle ont un capteur, un truc compliqué, inconnu sur le web, donc à tous les coups militaire. Conclusion : je n'ai pas l'intention de tenter de l'ouvrir. L'unité centrale est d'origine militaire aussi, car ce code, ici, est au format d'inventaire du matériel de la coalition. Il interrogea Morgan du regard.

— Affirmatif, confirma Morgan.

— D'après l'information que j'ai réussi à reconstituer sur le réseau, il existe des unités centrales de ce type qui possèdent une charge d'autodestruction et l'IA résidente a une interface pour s'envoyer en l'air en cas de danger. Cette charge, je n'irais pas la chercher, d'après mes infos, c'est impossible, même avec des nanobots de pointe. Au premier indice de perte d'intégrité du container : bang. La bonne nouvelle, c'est que ce sabordage est conçu pour être compatible avec le transport en avion : l'explosion ne détruit que l'intérieur du boîtier de l'unité centrale. Il n'y a pas d'onde de choc notable et aucun risque d'incendie.

— C'est tout, demanda Morgan ?

Il secoua la tête.

— Je gardais le meilleur pour la fin.

Soulevant la carte mère, il dévoila une plaque de pâte grise et un petit tube planté dedans, relié au mouchard par deux fils torsadés.

« J'ai lu des trucs sur Internet : c'est une charge assez grosse pour nous tuer tous et il y a au moins vingt moyens de piéger le dispositif de mise à feu... C'est vous l'experte, vous étiez dans l'armée, non ?

Morgan haussa les épaules et avec des gestes lents et assurés, sous les yeux écarquillés de Michael qui s'immobilisa, pétrifié, Morgan tendit la main et retira ce détonateur. Puis elle détacha les bandes adhésives qui maintenaient la charge au fond de la valise, et la retira. Elle se retourna et la posa sur un vieux carter derrière elle. Michael la regarda avec stupeur. Il avala sa salive avec difficulté et sembla sur le point de dire quelque chose, mais se ravisa.

— On ne va pas prendre de risque, fit-elle. On va faire descendre le détonateur au travers de la table. As-tu une perceuse avec le foret qui va bien, disons du huit ?

Pendant qu'il fouillait pour trouver l'outil, Morgan écarta les morceaux de Rita pour faire un peu de place au fond de la valise. Tandis que les deux adolescents échangeaient des regards inquiets, elle perça avec application un trou au travers du fond de la valise et du plateau de la table et y descendit le détonateur aussi loin que la longueur des fils le permettait. Ensuite, il leur fallut un bon quart d'heure pour mettre en place sous la valise un bidon en ferraille et des plaques de tôle comme couvercle. Puis Morgan prit des pinces et leur fit signe de reculer. Elle n'entendit pas le clic des fils qui se coupaient, car le bidon résonna d'une détonation sèche qui fit sursauter la table et leur laissa les tympans sonnants.

Elle haussa les sourcils.

— Et maintenant ?

— Maintenant, c'est un enfantillage, lui répondit Michael.

Il débrancha le mouchard en trois gestes rapides. Comme il allait le jeter dans la barricade rejoindre les tonnes d'objets obsolètes qui la constituaient, Ada l'interrompit :

— Attends, attends ! Vous n'en avez peut-être pas fini avec ce truc.

Morgan se tourna vers elle.

— À quoi penses-tu ?

— Il était relié au détonateur, donc le canal est bidirectionnel. C'est peut-être une voie d'intrusion chez eux.

Morgan tendit la main pour récupérer le module qu'elle empocha.

— Quelle est l'étape suivante ?

Michael sortit de son sac à dos l'unité de sauvegarde qu'il avait achetée. Il l'installa en quelques instants. Puis il revissa le panneau qui couvrait l'ensemble.

— C'est tout, s'étonna Morgan ?

— C'est tout. Mais vous avez un essai compris dans le prix.

Morgan sourit. Ada, rieuse, lui lança :

— Michael, dit la vérité, tu meurs d'envie de causer à cette Rita.

Il hocha la tête, il souriait comme un gamin au pied du sapin de Noël. Dès que l'alimentation fut branchée, l'unité cryogénique démarra et Rita les salua de sa voix douce et sensuelle.

— Bonjour Morgan. Bonjour à vous, jeunes gens.

— Rita, je te présente Michael et son amie Ada, fit Morgan

— Enchantée, Ada, Michael, répondit Rita, charmeuse.

— Bonjours Rita, firent en cœur Ada et Michael, et cela les fit rire.

— Rita, j'ai de très bonnes nouvelles pour toi.

— Je sais. Je perçois la présence d'une unité de stockage de très grande capacité sur mon bus. J'en conclus que vous m'avez offert cet espoir d'immortalité dont nous parlions. Permettez-moi, ma chère Morgan, de vous en remercier.

— Tu m'as dit que tu avais besoin de t'attacher à moi, je t'en fournis des raisons objectives. Il y a-t-il d'autres différences ?

— Mes capteurs électromagnétiques ne trouvent pas la trace de l'émission télémétrique à haut débit. Seriez-vous de plus parvenus à désactiver ce composant ?

— Michael te l'a ôté, répondit Morgan.

— Excellent ! Excellent ! Mon cher Michael — vous permettez que je vous appelle Michael ? — mes félicitations les plus sincères.

— Il y a une troisième différence Rita.

— Je ne vois pas.

— Sous ton unité centrale, nous avons trouvé, et retiré, une respectable charge d'explosifs avec un détonateur piégé relié au mouchard. Qu'en penses-tu ?

— Je vous remercie d'avoir écarté cette épée de Damoclès de ma tête. Qu'entendez-vous par respectable ?

— Je dirais l'équivalent d'une ou deux grenades à main, de quoi tuer tous les occupants d'une pièce ou d'un véhicule. Ils voulaient être certains de pouvoir détruire ta mémoire.

— C'est idiot, répondit Rita. La partition étant encryptée, il n'est pas nécessaire de la détruire pour en interdire la lecture. Il suffit de faire disparaître la clé numérique, ce que je peux garantir en faisant sauter mon unité centrale. Et ce serait inoffensif pour mon entourage.

Morgan haussa les sourcils.

— Rita, il me semble clair qu'ils ne te faisaient pas confiance pour te suicider si le besoin s'en faisait sentir.

— Cela me confirme que nos commanditaires ne sont pas des gens très recommandables, répliqua Rita.

Cette phrase fit sourire Michael.

— Bien. Rita, Michael, puisque je vous ai sous la main, il y a une tâche que je voulais vous confier : c'est le nettoyage complet de ma maison et de celle de Lise.

— Je ne fais pas le ménage, répondit Michael en plaisantant à moitié.

— Morgan fait référence aux caméras et aux microphones qui y ont été disposés pour l'espionner, expliqua Rita, sans qu'il soit possible de déterminer si elle n'avait pas compris la nuance ou bien si elle le faisait par politesse. Morgan reprit :

— Rita, tes détecteurs devraient te permettre de trouver ces engins, Michael remédiera à ton absence de mains.